JINISME

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JINISME

Le jinisme (ou jainisme) doit son nom au titre de Jina (le «vainqueur»), donné par ses adeptes à Vardham na (également appelé Mah v 稜ra , «grand héros»), réformateur, au VIe siècle avant J.-C., de la doctrine et de la communauté de P r ごva. Selon la tradition (face="EU Acute" ごvet mbara en particulier), Vardham na est né dans le Bih r, vers le temps et non loin du lieu où naquit le Buddha. Princes élevés tous deux dans le faste d’une cour, ils suivent des destins souvent comparables; les similitudes, cependant, résultent de coïncidences et d’affinités qui tiennent à l’influence de la civilisation ambiante et de l’ascétisme brahmanique sur les deux maîtres: par exemple, comme la plupart des Indiens, ils admettent tous deux la vertu des disciplines du yoga. D’ailleurs, il ne semble pas que le Buddha et le Jina se soient jamais rencontrés; mais ce dernier passe pour avoir eu des contacts avec Makkhali Go ご la, chef de la communauté des j 稜vika (que mentionne aussi le canon bouddhique), et pour avoir été gagné par la rigueur de son ascèse. Mah v 稜ra n’en est pas moins une des personnalités les plus originales de l’Inde ancienne: ce fut, assurément, un penseur vigoureux, et, en outre, un remarquable organisateur. À sa mort, la communauté modelée par lui et orientée vers une compassion active atteignait une extension telle qu’elle joua rapidement un rôle important.

Au cours des âges, elle a manifesté sa vitalité. Peu nombreuse actuellement, elle est néanmoins respectée: elle dispose en Inde d’une puissance économique enviable, jouit d’un prestige qui tient aussi à son rayonnement intellectuel et moral. À la différence du bouddhisme, religion missionnaire, le jinisme n’a guère cherché à s’étendre hors des frontières. Et, s’il comptait en 1981 seulement trois millions deux cent mille fidèles, c’est que les exigences de sa perfection ne lui ont jamais permis d’atteindre qu’un nombre restreint d’adeptes.

1. Les premières étapes

Les origines

Avec la naissance de Vardham na (VIe siècle av. J.-C.) se réalise, selon la tradition, l’incarnation du vingt-quatrième et dernier T 稜rtha ュkara ou prophète «frayeur de voie». Car le jinisme semble avoir pris sa source dans un passé lointain, mais si légendaire qu’il ne saurait remonter historiquement au-delà du vingt-deuxième T 稜rtha ュkara, Nemin tha, appelé aussi Ari ルレanemi, peut-être apparenté à K リルユa. Au Gujar t, la montagne de Girn r, où Nemin tha mourut après y avoir accompli toute sa mission prophétique, conserve encore son souvenir.

Cependant, le véritable précurseur de Vardham na, son aîné de deux cent cinquante ans, est le vingt-troisième T 稜rtha ュkara, P r ごva (associé au serpent, il a pour emblème un chaperon de cobra), fils du roi de Bénarès, A ごvasena. À l’âge de trente ans, quittant sa ville natale, il se prépara par la méditation et par l’ascèse à la connaissance suprême et proclama la Loi. De nombreux disciples l’entourèrent alors: hommes et femmes, religieux et laïcs, car il était devenu l’«agréé des hommes», s’insinuant dans leurs cœurs, les inspirant. Après soixante-dix ans de dure ascèse, il gravit, dans le Magadha méridional, le mont Samet-Sikhar; et, à la suite d’un jeûne rigoureux d’un mois, il s’y éteignit. C’est à sa descendance spirituelle, selon les textes jaina, qu’appartiennent les parents de Vardham na. Par son père, Siddh rtha, chef de clan, et par sa mère, Tri ごal , membre de la famille régnante des Licchavi, il se rattache à la noblesse: il est donc par sa naissance de la caste des K ルatriya. Et la tradition ごvet mbara, pour l’affirmer, sans toutefois contredire les sources selon lesquelles il s’incarne dans le sein de la brahmine Dev nand , fait intervenir le transfert de l’embryon, sur l’ordre des dieux, du sein de cette brahmine dans celui de Tri ごal . L’augmentation des richesses du royaume au cours des mois précédant sa naissance incita ses parents à lui choisir le nom de Vardham na «Prosper», dont l’interprétation devint: «dispensateur de prospérité».

Obéissant à ses parents, il vécut dans le monde, s’y maria à une K ルatriy , Ya ごod ; celle-ci lui donna une fille, Anavady , qui, à son tour, épousa un noble. Mais, à trente ans, à la mort de ses parents, Vardham na obtint de son frère aîné l’autorisation de renoncer à tout. Il distribua ses biens, s’éloigna de son pays et, pendant treize mois, mena la vie de religieux errant. C’est alors qu’adoptant les pratiques ascétiques les plus rigoureuses (car il croyait en leur efficacité), au plus fort de la saison froide, il se dépouilla de ses vêtements et, dans la solitude, pratiqua des jeûnes sévères, tout en se consacrant à la méditation et à la recherche des principes fondamentaux de la communauté religieuse qu’il projetait d’organiser.

Au bout de deux ans, il reprit ses pérégrinations, qu’il n’interrompait qu’au temps de la mousson. Ainsi, il parcourut la partie de la zone gangétique qui correspond à l’actuel Bih r, et qui comprenait alors les pays Magadha, Anga et Videha. Partout, devant lui, se dressent des obstacles: intempéries, hostilité des hommes, des animaux et des végétaux. Il y oppose une permanente indifférence et poursuit ses mortifications: il progresse vers l’omniscience. Elle le pénétrera enfin, «au terme d’une seconde période, par une nuit d’été, sous un arbre ご la (teck), sur la rive septentrionale de la ブjuv liy », près du village de J リmbhikagr ma.

Après quarante-deux ans de vie religieuse, à l’âge de soixante-douze ans, à P v , non loin de l’actuelle Patn , il entra en nirv ユa. La grandeur du Jina s’était depuis longtemps imposée. Des auditoires énormes s’étaient pressés autour de lui, constitués selon la tradition par toutes les classes de la société, ou plutôt, selon la critique moderne, par une majorité de K ルatriya, souvent très cultivés, comme pour le Buddha. D’ailleurs, sa famille paraît l’avoir soutenu, soit à Vai ご l 稜, soit à R jag リha. Beaucoup plus nombreuses que les hommes, les femmes assistaient à sa prédication et se convertissaient. Ainsi, à sa mort, la communauté était évaluée à 14 000 moines pour 36 000 nonnes, et à 55 000 disciples hommes pour 318 000 femmes. L’indication des proportions reste ici un témoignage plus sûr que celui des chiffres mêmes.

Les successeurs de Mah size=5v size=5稜ra

Parmi les onze disciples choisis par le Jina pour devenir «chefs de groupes» (ga ユadhara ), assumant chacun la direction de trois à cinq cents moines, émerge Gautama Indrabh ti, son interlocuteur habituel, dont il appréciait l’esprit si prompt à formuler des questions facilitant l’exposé de la doctrine. Mais c’est à un autre de ses disciples, Sudharman, qu’il appartint de recueillir ses paroles et de les transmettre oralement, avec une infaillible rigueur, à son élève Jamb sv min. Elles deviendront la base des textes qui font autorité. Quant à ces deux derniers dépositaires de la pensée intégrale du Maître, ils sont considérés comme les ultimes omniscients ou kevalin.

Les généalogies des maîtres spirituels établies par les Jaina – et dont l’authenticité est vérifiée, au moins pour le IIe siècle après J.-C., par les inscriptions de Mathur – mentionnent, à la sixième génération après Mah v 稜ra, un patriarche très important, le second de l’Église jaina, Bhadrab hu. Ce serait avec lui que, après avoir renoncé au trône, Candragupta (IVe-IIIe siècle av. J.-C.), l’illustre empereur Maurya, aurait gagné えrava ユa Be ヤgo ヤa, dans le Mais r, pour s’y retirer et se préparer au suicide religieux par inanition. Grand docteur et organisateur, Bhadrab hu prit des décisions qui eurent sur l’avenir du jinisme une influence capitale. Comme il était réputé être le seul en mesure de se remémorer les textes sacrés, on lui délégua des émissaires pour le prier d’assister au concile de P レaliputra, qui s’était donné pour but de fixer ces traités. Mais, refusant de se détourner de sa route, qui le conduisait alors au Népal en accomplissement d’un vœu, il consentit seulement à les réciter devant les envoyés. Un seul, Sth labhadra, qui avait été son disciple, se trouva capable de les mémoriser, sans pouvoir, toutefois, les retenir dans leur intégralité, ce qui explique les lacunes de la tradition.

Lors d’une grande famine qui frappa le nord de l’Inde et dont il avait dès le début prévu l’ampleur, Bhadrab hu avait partagé avec Sth labhadra la responsabilité de la direction de la communauté, lui laissant la charge des moines qui ne souhaiteraient pas le suivre vers le Mais r. Douze ans après, la famine terminée, il revint au Magadha avec ses disciples, pour y constater l’abandon de la stricte observance par les religieux qui y étaient demeurés. Toujours fidèles à la coutume de la nudité, ils s’indignèrent de l’amollissement de ceux qui étaient restés dans le Nord. Les controverses se multiplièrent relativement à des points de doctrine et, aggravées par des querelles religieuses, elles préparèrent le schisme qui, en 79 après J.-C., devait consacrer la scission de la communauté entre digambara , les «nus», et ごvet mbara , les «blancs». Cette scission était peut-être déjà en puissance au temps de Mah v 稜ra, lorsque les disciples de P r ごva se soumirent à sa direction tout en s’imposant moins d’austérité.

Après cette séparation, les digambara se sentirent plus libres pour proclamer avec fermeté leurs principes. À la suite du Jina, mais sans témoigner de la même tolérance, ils font de la nudité une condition indispensable de la Délivrance. Cependant, ils refusent aux femmes la possibilité d’atteindre la Perfection, rejettent le mythe du transfert d’embryon, contestent le mariage du Mah v 稜ra, affirment que les kevalin n’usent d’aucune nourriture ordinaire et, pour mieux s’opposer à l’authenticité des Écritures constituant le canon des ごvet mbara, concluent à la perte définitive des textes anciens. Ils préfèrent, quant à eux, s’en remettre à l’autorité des «Pères de l’Église».

2. Expansion et rayonnement

Parti du Magadha et de la plaine gangétique, le jinisme, selon une inscription de えrava ユa Be ヤgo ヤa, au Mais r, aurait atteint Ujjain 稜, au temps de Bhadrab hu. De là, il aurait gagné le Kar ユ レak, puis les territoires ndhra et dr vi ボa. Au IIe siècle avant J.-C., sa présence en Oriss est attestée par l’inscription du roi du Kalinga, sur les parois de la grotte H th 稜gumph , près de Bhubane ごvar. Après la scission de 79 après J.-C., alors que les ごvet mbara se maintiennent dans le Nord, les digambara, rayonnant autour de leur centre spirituel de えrava ユa Be ヤgo ヤa, bénéficient, dans le Dekkan et le sud de l’Inde, de la faveur des princes dont ils réussissent à obtenir la conversion ou tout au moins la protection. Au VIIe siècle, le pèlerin chinois Hiuan-tsang les visita à K nc 稜, capitale des Pallava, et s’émerveilla de leur prospérité matérielle. Au IXe siècle, le roi Amoghavar ルa composa un traité jaina, et l’un de ses descendants jeûna jusqu’à la mort (982). Les temples et les monuments consacrés au jinisme restent les témoignages de ces faveurs royales, qui encourageaient aussi les lettrés jaina. À partir du XIIe siècle s’affirme le déclin des digambara par suite de l’effacement des anciennes dynasties protectrices, des conversions princières obtenues par R m nuja, l’apôtre du vishnouisme, et des persécutions sanglantes qui accompagnèrent la propagande des V 稜ra ごaiva, sous la dynastie des Cola.

Les témoignages relatifs aux Jaina du Nord, mêlés de merveilleux et discontinus, sont, dans l’ensemble, assez obscurs jusqu’au VIIe siècle. Cependant, les fouilles de Mathur , qui fut le siège d’un concile ごvet mbara, à la fin du Ve siècle, ont mis au jour de nombreuses inscriptions qui révèlent l’expansion du jinisme vers l’ouest et aussi la division, dès le IIe siècle, des ごvet mbara en plusieurs groupes subdivisés en familles et branches spirituelles. Au pays M lv , autour d’Ujjain 稜, la capitale des empereurs Gupta, qui avaient marqué leur bienveillance au jinisme, les ごvet mbara poursuivront les conversions princières. Ils auraient obtenu, entre autres, celle du roi hephtalite Toram na, au VIe siècle, dont le fils devait pourtant les persécuter. Et, bien après, au XVIe siècle, ils devaient s’assurer la sympathie d’Akbar. De grands sanctuaires, à Khajur ho, à Gv lior, à Jaisalmer, au mont b , attestent l’importance de leur rayonnement.

Plus à l’ouest, au Gujar t, dans la seconde moitié du Ve siècle, deux conciles se réunirent à Valabh 稜, dans la presqu’île du K thi v r, en vue de fixer le texte des traités qui, désormais, allaient constituer le canon ごvet mbara: l’œuvre de ces diascévastes eut, évidemment, une importance considérable. Entre le VIe et le VIIIe siècle, le jinisme bénéficia de la protection des princes de Valabh 稜 et de la générosité des fidèles laïcs, qui lui élevèrent de nombreux temples. Mais c’est avec le roi du Gujar t Kum rap la (1144-1173) qu’il atteignit son apogée. Converti par le savant Hemacandra, le souverain s’employa à transformer son royaume en un État jaina, incitant ses sujets à pratiquer la non-violence, la compassion et la charité. C’est l’ahi ュs qu’enseignera plus tard Gandhi. À cet effet, il fit interdire les combats d’animaux, la consommation de la viande et de l’alcool, les jeux de dés et les paris; et il renonça à la confiscation par l’État des biens des marchands morts sans enfants. Cette dernière mesure, dont bénéficiaient les veuves, était favorable au jinisme. Si le roi ne manqua pas de faire bâtir des temples, son esprit de tolérance le porta à maintenir son appui aux ごaiva , qui, après son règne, reprirent le pouvoir. Il mourut, à la manière de son maître spirituel, Hemacandra, et peu de temps après ce dernier, en se suicidant religieusement par le jeûne. Dans les siècles qui suivirent, la protection des rois et des ministres assura l’édification de temples, et l’influence jaina reste actuellement encore profonde au Gujar t.

La communauté ごvet mbara s’est trouvée divisée en «ordres», les gaccha , dirigés par des s ri désignant eux-mêmes leurs successeurs. Il y en aurait eu quatre-vingt-quatre, dont quelques-uns seulement se révélèrent durables. Certains ont eu pour tâche «de lutter contre le relâchement des mœurs religieuses de la majorité des moines». Tout au long des âges, le souci de pureté et d’orthodoxie a suscité des sectes se rattachant cependant aux ごvet mbara; ainsi, au XIIe siècle, celle des Paur ユam 稜yaka , qui se donna pour objectif principal de mettre en évidence l’importance de la confession au jour de la pleine lune. Au milieu du XVIIIe siècle, celle des Ter panth 稜 , ou adeptes du «chemin des Treize», secte puritaine et iconoclaste, s’orienta vers l’étude des sources de la religion. Son activité s’est maintenue jusqu’à l’époque actuelle.

La communauté jaina, d’obédience digambara ou ごvet mbara, a toujours déployé une intense activité intellectuelle. Haribhadra (VIIIe siècle) et Hemacandra (1089-1172) sont peut-être les plus connus de ses philosophes et commentateurs de traités canoniques. Mais, en dehors du domaine essentiellement religieux, elle s’est intéressée aux sciences, à la grammaire, à la lexicographie, à la poétique, à la métrique, à la politique, à la médecine. Et, pour s’exprimer, elle a fait appel aux différentes langues littéraires de l’Inde, qui convenaient d’ailleurs au genre narratif qu’elle adoptait volontiers et dans lequel elle excellait. Les digambara se sont plu à employer les langues dravidiennes: tamoul et kannara, peut-être pour se différencier du brahmanisme, qui avait choisi le sanskrit; celui-ci fournira toutefois un mode d’expression aux œuvres philosophiques et aux commentaires jaina. Les différents pr krits seront largement utilisés, ainsi que, parfois, à partir du bas Moyen Âge, les langues indo-aryennes vernaculaires.

3. La doctrine jaina

Si les digambara nient l’authenticité du corpus canonique fixé par les ごvet mbara, ce corpus n’en contient pas moins l’essentiel de la doctrine. Aussi est-il possible de s’y référer pour les deux groupes. Les enseignements respectifs des digambara et des ごvet mbara, issus d’une tradition rigoureusement transmise et fixée avant le schisme, concordent en effet le plus souvent.

Deux exposés systématiques complètent d’ailleurs ce canon: le Pravacanas ra , ou Essence de la doctrine, du digambara Kundakunda, qui contient deux cent soixante-quinze strophes pr krites, et qui est traditionnellement daté du Ier siècle après J.-C.; le Tattv rth dhigamas tra , ou S tra de l’accès au sens des principes , d’Um sv ti, qui comprend trois cent cinquante s tra ou «aphorismes». Écrit en sanskrit, ce s tra apparaît comme une réponse aux «textes fondamentaux des divers systèmes philosophiques brahmaniques». Ces deux précis dogmatiques ont pour but d’instruire les fidèles et de les guider vers la Délivrance.

Logique, physique et cosmologie

Le chemin de la Délivrance est constitué par trois joyaux: la droite «connaissance» (jñ na ), la droite «vue» ou «foi» (dar ごana ) et la droite «conduite» (c ritra ). C’est dans le canon, divisé en quatre grandes sections constituées chacune par un certain nombre de traités, et dans les commentaires de ce canon que se trouve la base de la dogmatique. La connaissance, attribut essentiel de l’âme, s’acquiert selon deux normes de savoir valide (pram ユa ): l’une médiate (parok ルa ), l’autre immédiate (pratyak ルa ). La première repose sur une perception indirecte faisant appel à des instruments sensoriels. Elle peut être représentative (mati ), dépendante de l’expérience personnelle; mais aussi traditionnelle ( ごruta ), acquise ex auditu à l’aide de l’enseignement du Jina et des textes sacrés. Ces deux degrés de connaissance sont complémentaires et, par suite, indissolublement liés. La connaissance immédiate permet la perception directe, sans intermédiaire sensoriel. Elle comporte trois degrés: l’avadhi-jñ na , appréhension directe des objets matériels, qui peut être innée (pour les êtres célestes et les êtres infernaux) ou acquise (chez l’homme); le mana ム-pary ya-jñ na , atteignant les «modes mentaux», c’est-à-dire les pensées d’autrui; le kevala-jñ na ou omniscience, qui est le plus haut degré et qui, comprenant tous les autres, désigne la connaissance absolue et parfaite.

Cette logique jaina est complétée par la doctrine du sy d-v da ou des différentes «possibilités» et par celle du naya-v da ou des «méthodes». La première est la doctrine du «peut-être», et elle recouvre sept formes d’assertions, selon que l’objet «peut être»: tel, non tel, tel et non tel, «inexprimable» (avaktavya ), etc.; ainsi lorsqu’on cherche à affirmer simultanément ce qui ne peut l’être que successivement, etc. Il s’agit d’une méthode de connaissance synthétique, s’opposant à celle du naya-v da , qui est analytique: l’objet, cette fois, n’est plus considéré dans sa totalité, mais d’après l’un de ces sept points de vue principaux: qualités génériques et spécifiques; qualités génériques; qualités spécifiques; qualités présentes; point de vue conforme à l’usage ; point de vue conforme à l’étymologie; ou point de vue de l’activité du signifié en relation avec le sens étymologique du signifiant.

Le jinisme est un substantialisme pluraliste qui insiste sur la réalité du changement (pari ユ ma ). «Il admet que la substance (dravya ) est le support de qualités fondamentales (gu ユa ) et se manifeste selon des modes transitoires (pary ya ).» Cinq «masses d’être» (astik ya ) éternelles constituent le monde (loka ) et le non-monde (a-loka ). Elles peuvent s’adjoindre une sixième substance: le temps. Ainsi se distinguent, d’une part, l’âme (j 稜va ) et, d’autre part, les substances inanimées (a-j 稜va ): matière (pudgala ), espace ( k ごa ), temps (k la ), mouvement (dharma ) et arrêt (a-dharma ). Ces «masses d’être», à l’exception du temps, occupent des «minima spatiaux». Alors que les autres substances sont incorporelles, la matière est corporelle, ce qui lui confère des qualités sensibles: couleur (cinq espèces), saveur (cinq espèces), odeur (deux espèces), tangibilité (sept espèces). Elle fournit aux âmes un corps leur rendant possibles les activités physiques et les affections passives, la vie et la mort. Elle est composée d’atomes en nombre infini, dont chacun est éternel, indivisible, doué de qualités sensibles, mais ne devient perceptible aux sens que réuni à d’autres atomes. La réunion de ces atomes en agrégats moléculaires détermine de nouvelles propriétés de la matière, qui se manifestent selon une infinité de modes. Aussi est-ce au niveau moléculaire qu’apparaissent les quatre éléments (dh tu ): terre, eau, air, feu.

L’espace, décomposable en une infinité d’unités spatiales (prade ごa ), se subdivise en deux régions: l’espace cosmique et l’espace non cosmique, illimité et vide. Le temps, qui n’est pas universel, certaines régions du monde en étant dépourvues, est constitué par des «atomes de temps», appelés instants (samaya ) et correspondant chacun au temps nécessaire à un atome de matière pour traverser un point d’espace. Le dharma et l’adharma sont les «supports» de toutes les sortes de mouvement et de leur arrêt. Ils agissent sur les âmes et la matière, «l’un à la façon de l’eau qui permet le mouvement du poisson, l’autre à la façon d’un arbre qui invite le voyageur au repos». Ces deux termes sont aussi utilisés par les Jaina pour signifier la loi religieuse et son contraire.

L’âme et le karman

L’âme est «vie» (j 稜va ), c’est une monade spirituelle ayant pour caractéristique essentielle la conscience (cetan ). Le nombre des âmes est infini et elles sont éternelles, identiques et égales. Mais, soumises à des influences extrinsèques, elles subissent des inégalités de statut. Et tant qu’elles ne sont pas libérées de la matière, elles demeurent unies à un organisme corporel.

«Il existe cinq variétés de corps, chacun avec sa fonction propre. Tout organisme corporel en possède deux au moins, quatre au plus. Ce sont, en allant du moins au plus subtil: le corps physique (de chair, d’os, etc.), comme est celui des hommes et des animaux; le corps de transformation (vaikriyika ), qui se métamorphose au gré de son possesseur, et dont les êtres célestes et infernaux sont naturellement doués; le corps de transfert ( harika ), incompatible avec le précédent, qui permet à l’âme de connaître et d’agir loin du lieu où se trouve le corps physique, et qui est propre aux hommes, dans des cas particuliers; le corps ardent (taijasa ), qui, formé de particules ignées, permet les fonctions digestives et condense une grande quantité d’énergie et de puissance; le corps karmique, formé du karman , qui se trouve contenu dans l’âme. Les deux derniers se rencontrent dans tous les êtres» (C. Caillat).

On distingue trois manières différentes de naître pour le corps dans lequel l’âme doit s’incarner: par manifestation soudaine, sans base matérielle (pour les dieux et les êtres infernaux); par coagulation spontanée de matière (pour les êtres inférieurs ayant de un à quatre sens); par constitution d’un embryon (pour les hommes et la plupart des animaux supérieurs). Attaché à l’âme, dont il cause la servitude en entraînant son incarnation et sa migration, le corps karmique détermine la variété des êtres et du monde.

Pour la philosophie jaina qui considère sa durée, son intensité, sa quantité, le karman est constitué de la matière subtile résultant des intentions et volitions antérieures de l’âme. On en distingue huit espèces: le karman qui obscurcit la connaissance; celui qui obscurcit la vue; le karman sensible, perçu par les sens, produisant plaisir et douleur; le karman d’égarement, provoquant l’aberration de l’âme – il égare la foi et la conduite; avec l’égarement de la conduite apparaissent les quatre passions fondamentales, colère, orgueil, tromperie, avidité, qui s’accompagnent de dispositions et de traits de caractère de nature non passionnelle: frivolité, plaisir, tristesse, crainte, répugnance, conscience sexuelle; viennent ensuite le karman qui détermine la quantité de vie; le karman qui détermine l’individualité (il en existe quatre-vingt-treize variétés); le karman qui détermine le rang social; le karman d’obstruction, qui fait obstacle au progrès de l’âme. Cependant, les traités spécialisés, les karma-grantha , en analysant les sous-variétés du karman, n’en dénombrent pas moins de cent quarante-huit. La valeur des actes communique à l’âme une couleur qui traduit son état. Ainsi apparaissent six types d’âmes: trois sombres, représentées par le noir, le bleu foncé, le gris; et trois claires: jaune, rose, blanc. Sous l’effet de son propre karman, l’âme s’élance d’existence en existence. Le corps karmique est le véhicule qui, la quantité de vie du corps où elle logeait étant épuisée, la conduit vers une des quatre voies de destinée: humaine, divine, animale, infernale. Ce n’est que libérée du flot karmique, dénuée de poids, que l’âme, «parfaite», rejoindra le sommet de l’univers et ses pareilles, les siddha ou «accomplis».

4. Le chemin de la Délivrance

La vie en religion, la seule où le «dépassionnement» soit totalement possible, conduit à la Délivrance, ou plutôt, selon la terminologie jaina, à «l’Accomplissement» (siddhi ), la «Perfection». S’il est sain de corps et d’esprit, un enfant, à partir de l’âge de sept ans et demi, est admis à quitter le monde en abandonnant ses biens. Après un noviciat de quatre mois environ sous l’autorité absolue d’un maître spirituel, il peut recevoir la consécration, au cours de laquelle, les cheveux rasés (ils le seront par la suite périodiquement), il revêt la robe monastique, reçoit un nom nouveau et prononce les cinq vœux. Il est ainsi devenu moine et membre de la communauté, et il entre dans un de ses groupements, sous la direction de maîtres hiérarchisés et relevant du maître par excellence, le guide des fidèles dans la pratique de la Loi, l’ c rya . À l’exemple du Mah v 稜ra, il sera itinérant, en dehors, cependant, du temps de la mousson. Engagé par le cinquième vœu à ne rien posséder, il reçoit toutefois un équipement monastique: une robe ou plutôt une pièce d’étoffe, qu’il lui est interdit de laver et de raccommoder; une calebasse de bois ou d’argile, qui lui servira de bol à aumône; un court balai destiné à écarter les animalcules devant ses pas, alors qu’une pièce de mousseline placée devant sa bouche les protégera de son souffle.

Ses jours et ses nuits sont divisés en quatre parties égales (pauru ル 稜 ), dont chacune est réservée à une occupation fixe: étude, méditation, déplacement ou tournée d’aumône, sommeil. Il doit se livrer à l’étude des textes et connaître certaines formules: de confession, d’annonce de recueillement, de refus de nourriture... Il ne doit manger que le jour pour mieux contrôler les aliments et pour éviter ainsi de porter atteinte à des animalcules. Les repas journaliers sont souvent réduits par des prescriptions de jeûne. Religieux, ou même laïcs, peuvent d’ailleurs être autorisés à poursuivre le jeûne jusqu’à ce que la mort s’ensuive.

Le moine est tenu de confesser ses moindres défaillances à son supérieur et doit se livrer pour les racheter à des pénitences minutieusement prévues. Solidaire de tous les autres membres de la communauté, il lui est enjoint de pratiquer toutes les formes d’entraide. Il doit enfin dispenser son soutien spirituel aux fidèles laïcs, qui, en retour, apportent à la communauté leur contribution en assurant la vie matérielle des religieux, en construisant et en entretenant des temples, et en soutenant généreusement les déshérités, parmi lesquels ils placent les animaux vieux et malades, qu’ils recueillent dans des hôpitaux spéciaux. Les laïcs sont étroitement intégrés à la communauté. Celle-ci, en effet, est quadripartite et comprend non seulement les moines et les nonnes mais les fidèles, hommes et femmes, astreints, eux aussi, à l’observance de vœux.

Tout Jaina s’engage à respecter cinq interdits: ne pas nuire aux êtres vivants; ne pas mentir; ne pas s’approprier ce qui n’a pas été donné; ne pas manquer à la chasteté; ne pas s’attacher aux possessions matérielles; en outre, ne pas manger de nuit. Pour les religieux, les cinq premiers interdits atteignent un caractère d’extrême rigueur qui leur confère le titre de vœux majeurs. Le laïc n’est soumis qu’à des vœux mineurs, mais ceux-ci sont complétés par sept règles de moralité: s’interdire toute action inutile qui risque d’être nuisible; borner à un certain périmètre ses activités séculières; s’imposer la modération; méditer plusieurs fois par jour; limiter ses occupations; jeûner et veiller au moins chaque quinzaine; distribuer toutes les sortes d’aumônes. Ainsi la vie du laïc, en s’élevant de perfection en perfection, pourra rejoindre la vie religieuse.

Le moine, pour se libérer de l’esclavage de la transmigration, doit purifier son âme de la matière karmique, en rejetant le karman, précédemment engrangé et non encore mûri, et en empêchant tout nouvel influx. Par une série de pratiques consignées ou esquissées dans le canon, il tend à obtenir l’«arrêt» (sa ュvara ) de ce flot karmique: par la triple surveillance (gupti ) des activités mentales, verbales et corporelles; par le quintuple souci de n’endommager aucun être vivant; par l’observance au plus haut degré des dix règles de la morale monastique: patience, humilité, droiture, pureté, véracité, maîtrise de soi, austérité, continence, pauvreté volontaire, obéissance spirituelle; par la pratique des douze réflexions (anuprek ル ) sur l’impermanence universelle, la faiblesse humaine, la ronde de la transmigration, la solitude de chacun, la différence essentielle de l’âme et du corps, l’influx du karman, son arrêt, son rejet...; enfin par la tolérance des vingt-deux désagréments physiques et moraux: faim, soif, froid, chaud, morsure des insectes, nudité, répugnance pour les devoirs monastiques, séduction féminine, pérégrination, étude, pauvreté du gîte, insultes, coups, mendicité, refus (de l’aumône), maladie, piqûres des herbes, malpropreté, manifestations honorifiques, insuffisance des connaissances, irritation de ne pas comprendre, orgueil. Ces observances de caractère ascétique sont complétées par l’ascèse proprement dite, qui doit permettre le rejet (nirjar ) du karman. Elle comporte les six espèces de l’ascèse externe (spécialement les jeûnes), et l’ascèse interne, également sextuple: confession et pénitence; bonne conduite religieuse; services des membres de la communauté; étude; recueillement; concentration mentale, ou dhy na , mais en exceptant les formes pathologiques et malignes qu’elle peut présenter.

De l’hérésie à l’omniscience, les Jaina distinguent quatorze stades de qualification spirituelle, qui ne sauraient être gravis dans l’ordre car l’individu peut s’élever, ou, au contraire, redescendre à un niveau inférieur. En se libérant de la matière, l’âme abandonne son corps ardent et son corps physique en même temps que son corps karmique. Elle monte tout droit jusqu’au sommet du monde, dans la région en forme de coupole où elle rejoint toutes les autres âmes parfaites, qui, en nombre infini, s’interpénètrent. Ainsi s’accomplit pour l’âme prédestinée (à la Délivrance), la plénitude de son être, qui est pure connaissance dans l’infinie béatitude de la Délivrance (mukti ), de la Perfection (siddhi ).

L’Occident a souvent reproché à la dogmatique jaina sa rigidité. Il convient de remarquer également que les grands maîtres jaina ont fait preuve de tolérance, qu’ils ont toujours été guidés par un véritable souci d’humanité.

jaïnisme ou djaïnisme ou jinisme nom masculin L'une des trois grandes religions de l'Inde, dont le nom vient du terme « jina » (victorieux) appliqué à son fondateur Mahavira, contemporain du Bouddha, Mahavira étant considéré comme le 24e Tirtha˙nkara.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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